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 Une utopie en marche

Jacqueline Lavillonnière, Sage-femme libérale

  • Mardi 27/05/2008
  • 15:38
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(...) "Quand à 20 ans j'entrais à l'école de sages-femmes de Suresnes, je découvrais une obstétrique en pleine révolution technique. La maîtrise de l'utilisation de l'ocytocine de synthèse par voie veineuse donnait de nouvelles perspectives. Nous pouvions réduire le temps des accouchements, en déclencher le démarrage, le pouvoir du médical semblait n'avoir aucune limite, éloignant une série de craintes ancestrales pesant sur l'accouchement...
Comment ne pas être séduite par un progrès qui m'apparaissait indiscutable, et indiscuté ? Comment ne pas être fière d'accéder à une profession médicale au titre valorisant et dont mes parents eux aussi étaient fiers ? Le développement du sens critique ne faisait pas partie de nos enseignements et il était impensable que je remette en question la moindre chose qui nous était enseignée à l'école de sages-femmes ! Je filais droit sur le rail qu'on m'avait tracé et qui était la vision médicale de cette époque... Je continuais mes études avec cette conviction de la science « toute puissante », porteuse d'une vérité absolue parce que statistiquement démontrée.
Les trois années de formation de sage-femme ont fait de moi une bonne élève, même si je subissais une discipline humiliante, plus efficace à nous rendre serviles qu'à nous préparer à prendre des responsabilités. Ce furent des années difficiles. Mon père est décédé trois mois après le début de la première année, j'ai dû travailler pour payer mes études... L'ensemble de ces conditions me laissait peu de place pour me poser d'autres questions !
En dehors de mes stages et des cours, je travaillais souvent la nuit dans une clinique privée. J'y ai découvert des pratiques nettement moins éthiques que celles qui m'étaient enseignées ! Cette vision du monde eut l'intérêt de secouer mes croyances et détermina mon refus de travailler dans le privé, renforçant l'idéalisation que j'avais du service public. C'est là que j'ai découvert le pouvoir de manipulation exercé sur les femmes. L'art de leur faire accepter ce qui « arrangeait » l'obstétricien en invoquant une nécessaire intervention de sauvetage d'un enfant qui allait bien ! J'ai découvert ce monde avec stupéfaction. J'étais choquée d'entendre la sage-femme de cette clinique critiquer ces pratiques sans les dénoncer, et exécuter des ordres avec lesquels elle disait être en plein désaccord ! Mes enseignantes interrogées sur ce point avaient bredouillé que la pratique du médecin relevait de son conseil de l'ordre et que la sage-femme, étant son employée, ne pouvait guère faire autre chose que de changer d'employeur...
Je suis sortie de l'école de sages-femmes en 1968 et j'ai travaillé quatre ans, notamment à Saint-Denis. Nous étions douze sages-femmes et nous assurions 2500 accouchements... l'usine à bébés de l'époque ! J'enchaînais les naissances les unes après les autres, je savais parfaitement « diriger » un accouchement et je me préoccupais souvent plus d'en finir rapidement pour m'amuser avec mes collègues ou mes copains à l'internat ! C'est là que j'ai appris à jouer au tarot, à la belotte... Je n'étais pas la sage-femme tricoteuse à côté de la parturiente ! On écoutait les monitorings depuis la salle de garde en branchant l'interphone afin de surveiller à l'oreille lorsque les femmes commençaient à pousser, et on les rejoignait à temps pour l'expulsion... On allait environ une fois par heure les examiner pour vérifier que leur travail avançait. Pour le reste, elles se débrouillaient. À Saint-Denis, c'était la pleine époque de l'accouchement sans douleur. Les femmes étaient préparées par la technique rapportée de l'Union Soviétique par le docteur Lamaze, et leurs maris à côté d'elles respiraient en même temps comme un petit chien, pour les accompagner..., elles n'avaient pas besoin de nous ! Ou bien, il s'agissait de femmes immigrées avec lesquelles il y avait peu de communication et qui faisaient ce qu'elles voulaient, comme elles le voulaient...
J'ai rencontré à cette époque celui qui est toujours mon mari. On vivait à cent à l'heure, on sortait beaucoup en dépensant joyeusement tout ce qu'on gagnait, voiture de sport, vacances de luxe en Espagne... Cela dura quatre années avant d'être saturés et insatisfaits de cette vie de fous ! Le passage de mai 68, nos grandes idées de refaire le monde... tout a contribué à notre départ de Paris pour l'Ardèche. Nous sommes allés rejoindre des amis et élever, comme eux, des chèvres, des moutons et des cochons dans une vieille ferme sur le plateau ardéchois. Nous sommes arrivés dans une deux-chevaux, avec un matelas et un chien acheté sur le trajet... Nous avions donné au passage tous nos appareils modernes, radio, platine, nous n'avions plus rien ! J'avais juste emporté une boîte d'accouchement contenant deux pinces cochères, qui servent à clamper un cordon ombilical, et une paire de ciseaux pour le couper, le minimum, au cas où...
 
Accompagner à domicile ?
Le couple que l'on rejoignait en Ardèche attendait un enfant et il m'avait fait part de leur désir d'accouchement dans leur maison. J'avais entendu parler de l'accouchement à domicile comme d'un phénomène totalement révolu, source de tous les dangers, cause première de la mortalité maternelle et infantile... Leur demande de les aider à réaliser ce vœu tombait un peu comme une bombe ! Cependant, je sentais que cette femme avait une grande confiance dans son corps, mais aussi dans la vie de son bébé. Nos amis vivaient en Ardèche depuis plusieurs années, ils avaient déjà parcouru tout un cheminement, ils avaient déjà deux enfants et je voyais bien que si je n'acceptais pas, ils accoucheraient seuls ! Leur conviction, leur résolution firent le reste.
La première chose que j'ai entreprise, avant même d'accepter de suivre cet accouchement, ce fut de revoir pathologie par pathologie tout ce qui pouvait arriver et mettre en place, hors de l'hôpital, la façon dont je pouvais résoudre un problème s'il survenait. Cette introspection et ces recherches m'amenèrent à mettre en doute une série d'interventions routinières que j'avais apprises à l'hôpital. Certaines s'avéraient être le point de départ d'un enchaînement vers de plus en plus d'interventions, qui elles-mêmes pouvaient devenir sources de souffrance fœtale aiguë. 
Cette démarche était pour moi un élément d'assurance, parce que j'étais morte de trouille : et si tout le monde mourait là en face de moi, que faire ? J'étais terrorisée par la mort. La mort précoce de mon père m'avait collé une grande peur que j'ai eu beaucoup de mal à traverser. Toutes les histoires les plus sordides me passaient par l'esprit... les hémorragies de la délivrance, toutes ces horreurs alimentées par mon travail à l'hôpital. Mon urgence à moi était de trouver des réponses à mes peurs. Je découvrais que je pouvais m'appuyer sur les parents qui, eux, étaient prêts à mourir pour accoucher selon leurs choix. Devant des parents aussi déterminés, conscients et revendiquant la responsabilité de leurs choix, ma responsabilité professionnelle devenait plus acceptable. Cela devenait une responsabilité partagée. Je me sentais alors capable de dire mes limites, reconsidérer les leurs, si je dépistais quelque chose qui sortait du tout à fait normal. C'est ainsi que j'ai découvert la force qui pouvait nous habiter, celle qui justement allait faire reculer la peur et la soumission qu'elle entraîne." (...)




 
 
 
 
 




 


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