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 Devenir mère, de l'ombre à la lumière

Pascale Francazal

  • Mardi 27/05/2008
  • 15:32
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(...) "Le lendemain, et quelques semaines après, je suis contente de mon accouchement. Je dis même à la cantonade : « La péridurale, c'est super, on ne sent rien ! » Ce sont les conseils contradictoires et déstabilisants, l'incompétence autour de l'allaitement qui vont me pousser à une lente remise en question des protocoles et m'amener à être mère, louve protectrice, pour la première fois... Je suis « retenue » six jours à la maternité parce que mon fils perd beaucoup de poids, presque 15 %. Je dois le peser avant et après chaque tétée, tandis que pédiatre et puéricultrice me tâtent les seins sans me parler. « Elle n'a pas sa montée de lait ». Je suis bourrée de galactogyl et menacée de voir mon bébé perfuser en néonatalogie si je n'accepte pas les compléments de lait artificiel. J'en accepte un, la rage au ventre, à la condition qu'il soit donné à la tasse. Je jetterai le suivant, en faisant croire que je l'ai fait boire à mon bébé. Puis je vais mentir sur les relevés de poids. Ça y est, je commence à me révolter, à protéger mon bébé. Je l'aime mon bébé, je sens ce qu'il lui faut. Je sais que mon lait est meilleur pour lui que n'importe quel autre breuvage de substitution… 
 
Commencement d'une révolte intérieure, petite déchirure dans le voile qui me couvre encore les yeux. Début de ma colère contre les conseils qui font sombrer tant d'allaitements et de mamans. Dans les mois qui suivent, je m'interroge sur la véracité du discours des soignants, puisque j'entends de grosses âneries sur la physiologie de l'allaitement... Plusieurs pédiatres et médecins, défiant les recommandations de l'Organisation Mondiale de la Santé, essaieront de me persuader de sevrer mon bébé qui ne grossit pas – et ne grossira jamais – selon leurs normes calquées sur celles des « bébés biberons ». Mon obstétricien m'y encouragera aussi lors de la visite post-partum, arguant qu'à la reprise du travail, j'allais avoir « les seins comme ça », mimique à l'appui. Seul mon généraliste me soutiendra sans faille. C'est le début de mon entêtement, le début de ma réflexion sur le « savoir médical » en périnatalité, sur nos capacités de mère à faire naître nos enfants et à les nourrir. Qui est la véritable « spécialiste » de mon fils ? 
Second tour de clé dans le verrou de mon aveuglement confiant. Je me libère, enfin. J'avais certainement besoin de vivre de cette façon cette première expérience pour ensuite ouvrir les yeux tout en grand, quand j'ai surfé sur Internet à la recherche d'informations sur l'allaitement. C'était mon chemin. Et je suis plutôt fière d'avoir réussi un allaitement de plusieurs années complètement seule. C'est cet allaitement qui m'a ouvert à d'autres possibilités. Cet allaitement qui m'a faite mère. Grâce à lui, je me suis découverte et trouvée. Comme une deuxième naissance. C'est aussi lui qui m'a aidée à faire tomber mes barrières psychologiques (les « il faut / il faut pas »), et poussée vers une vision plus naturelle du monde... C'est l'allaitement qui m'a recentrée sur mon état de mammifère. Et c'est lui encore qui m'a ouvert les voies du maternage et d'une parentalité que je veux exempte de violence. Je garde un souvenir ému de mon accouchement, même aujourd'hui encore. Mais avec le recul que me permet le partage d'autres expériences sur le Web, j'aurais voulu qu'il soit plus « conscient », et « moins passif » de mon côté. Je me suis laissée faire, laissée diriger, « laissée accoucher ». J'ai l'impression que je n'ai pas mis au monde mon bébé, mais qu'il m'a été extirpé.
Ma conscience s'ouvrant, je vais discerner ce que je ne veux plus revivre : une grossesse pleine d'inquiétudes, de questions sans réponse, de froideur, d'examens stressants et inutiles comme la répétition des touchers vaginaux et les mesures de mon col ! Je ne veux plus entendre ce monitoring posé pendant des heures qui me cloue sur place, en étant dans une position à plat dos insupportable, alors que les contractions me tenaillent les reins. Je ne veux plus accueillir mon bébé dans le bruit des appareils médicaux, ni qu'il subisse d'aspiration pouvant perturber son réflexe de succion, les gouttes dans ses yeux à peine ouverts, le bain qui détruit la protection lipidique de sa peau… Je ne veux plus faire partie de ces mamans qui vont souffrir des gestes et des protocoles, pour ensuite se sentir sauvées par une péridurale. Une anesthésie tellement efficace que je ne sente rien de mon corps, rien de la progression, rien de la poussée... Je ne veux plus d'une épisiotomie pratiquée sans me prévenir, ou d'une extraction manuelle du placenta quelques minutes à peine après la naissance. Pour me réveiller le corps cassé, endolori, le périnée boursouflé et recousu... et passer des mois à m'en remettre. 
Et surtout je veux me sentir enceinte et non « malade, à risque » ! Je veux accoucher et ne pas me « faire accoucher », j'ai besoin de me réapproprier ma capacité à faire naître mon enfant, de renouer avec mon corps et mon instinct." (...)

        
      Photos : © P. Francazal




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